Tanneguy Le Pichon voit le jour en 1939, en Indochine. Un soir de mars 1945, à Dalat, les militaires japonais pénètrent dans la résidence familiale et arrêtent son père, alors inspecteur de la Garde indochinoise. Un mois plus tard, parvenu à tromper la vigilance des Japonais, le père de famille rejoint son épouse et ses sept enfants assignés à résidence dans un hôtel de Nhatrang, sur la côte d’Annam. Lors d’un bombardement américain, ils doivent leur salut à la tranchée creusée par les réfugiés dans les jardins. Avec trois autres familles, ils décident alors de s’installer dans un kiosque à musique transformé en maison de quatre pièces.
Dans la tranchée qui les protège des bombardements, Tanneguy Le Pichon côtoie les soldats japonais. Il scrute leurs uniformes, observe leurs habitudes et endure les menaces de l’officier chargé de les contrôler. Six mois s’écoulent ainsi, dans la précarité, le danger, l’incertitude et le manque de nourriture. Après la capitulation japonaise, alors que les massacres de Français sont courants, sa mère maintient calme et sérénité en faisant l’école aux enfants. Cette drôle de vie prend fin le 19 novembre avec le débarquement de la 9e DIC et le discours du général Leclerc à la communauté française; l’image de cet homme, avec sa canne et son képi, marque son esprit: « Un jour, je serai général !»
Six mois plus tard, toute la famille est rapatriée et rejoint Cherbourg, via Toulon. Les rades sont encombrées d’épaves et les villes et villages détruits se succèdent: Caen, Carentan, Valognes… Le petit garçon apprend que ce sont des soldats américains, anglais et français qui ont libéré la France. Alors, « c’est sûr, je veux être soldat ! »
La vocation naissante s’affermit au cours des années avec l’évocation de son père, qui fait la guerre en Indochine, et de son grand-père, un capitaine d’infanterie de Marine mort au Tchad en 1906, dont la veuve évoque la carrière mouvementée. C’est décidé, « je serai, comme lui, officier d’infanterie de Marine. » C’est ainsi qu’à sa sortie de Saint-Cyr, en 1962, le sous-lieutenant Le Pichon choisit l’infanterie de Marine. Ses rêves se réalisent: servir outre-mer, commander à tous les niveaux de responsabilité, se former et former…et privilégier l’action sur le terrain en participant aux opérations extérieures.
À 50 ans, promu général, Tanneguy Le Pichon assume les fonctions de chef d’état-major de la Force française Daguet, en Arabie Saoudite. Quand il pénètre dans Koweït-City tout juste libérée, le peuple en liesse est dans la rue pour acclamer ses libérateurs. L’émotion le submerge: il lui semble avoir enfin payé sa dette vis-à-vis de la société, et c‘est aux soldats de la 9e DIC de l’année 1945 qu’il pense.
En 1992, le général Le Pichon effectue une tournée dans les pays du Sud-est asiatique pour raconter la guerre du Golfe et vanter les armements français. Devant un auditoire d’officiers japonais, il cite Sun Tse: « N’oubliez jamais que votre dessein, en faisant la guerre, doit être de produire la paix, et non d’apporter la désolation. »
Pour l’armée française, l’après guerre du Golfe est une période de bouleversement profond. Le général Le Pichon vit la professionnalisation et les réorganisations avec passion, d’abord comme chef d’état-major de la FAR, puis à la tête de la 9e Dima, héritière de la 9e DIC à laquelle il rend hommage en recevant une centaine d’anciens qui, en 1945, lui ont sauvé la vie. Il passe ensuite sept mois à Sarajevo, dans le cadre de l’OTAN, et vit ainsi l’ultime satisfaction de voir les trois factions belligérantes revenir au dialogue et à la paix.